Mikhaïl Ksenofontovitch Znamensky, mon arrière-grand-père, Archiprêtre russe

Né en 1855 au cœur de l’Empire russe, mon arrière-grand-père, Mikhaïl Ksenofontovitch ZNAMENSKY, a traversé l’une des périodes les plus bouleversées de l’histoire de son pays. Enseignant, recteur et archiprêtre respecté, il a connu la gloire au sein de l’Église orthodoxe avant de voir son monde s’effondrer avec la Révolution de 1917. Grâce à de nombreux documents d’archives provenant de diverses institutions fédérales et régionales russes (*), j’ai pu retracer son parcours, depuis la reconnaissance publique jusqu’aux épreuves de la persécution, offrant à la fois le portrait d’un homme et celui d’une époque.

I. Origines et formation


Un enracinement dans la foi et la tradition

Mikhaïl naît le 4 septembre 1855 à Pereslavl-Zalessky, ville ancienne sur la rive sud-est du lac Pleshcheïevo, dans la province de Vladimir. Son père, Ksenofont Pavlov Znamensky, est diacre (Дьячок ou Псало́мщик) à l’église du Prince-Vladimir, tandis que sa mère, Alexandra Mikhailova, veille à l’éducation des enfants dans la piété et la simplicité. Dans cette Russie encore rurale, la vie du bas clergé est modeste mais digne, rythmée par la liturgie, les saisons et le devoir. Mikhaïl est le fils unique du couple et le benjamin d’une fratrie de quatre enfants — il a trois sœurs aînées, dont l’affection et l’attention font probablement de lui le choyé de la famille.


Un élève brillant

Dès son plus jeune âge, Mikhaïl révèle des dons intellectuels remarquables. Son parcours académique est exemplaire : il fréquente d’abord l’école spirituelle de Pereslavl-Zalessky (1870), puis le séminaire théologique de Vladimir (1870-1877), qu’il achève avec distinction, avant d’intégrer la prestigieuse Académie théologique de Moscou (1877-1882), où il obtient le titre très convoité de Candidat en théologie. Son mémoire, Le spiritisme du point de vue historico-philosophique, des sciences naturelles et du surnaturel, témoigne d’un esprit ouvert et curieux, attentif aux grands débats intellectuels de son époque.

II. Premiers pas et ordination


Jeune professeur

Dès sa sortie de l’Académie, il est nommé professeur de langue russe et slavonne à l’école spirituelle de Viazma par le procureur en chef du Saint-Synode, puis rejoint le séminaire théologique de Smolensk en 1883. Il y forme les futurs prêtres à la prédication et à la liturgie, tout en enseignant la religion dans une école diocésaine pour filles.


Mariage et vocation

Le 13 juillet 1883, il épouse Elizaveta Ivanovna Dobrotvorskaya, fille d’un prêtre du village de Veska, partageant avec elle foi et sens du devoir. Trois ans plus tard, le 15 août 1886, il est ordonné prêtre (Священник) dans la majestueuse Cathédrale de l’Assomption de Smolensk. Ému, il confiera : 

 « Ce jour-là, je sanglotais comme un enfant, submergé par la grâce. ».

Il devient ensuite sacristain (ключaрь) de la cathédrale, assumant d’importantes responsabilités organisationnelles et spirituelles. Ses succès à Smolensk attirent rapidement l’attention du Saint-Synode et préparent sa future carrière de recteur.


III. Rectorats et distinctions


Une brillante ascension

Être nommé recteur de séminaire représente, dans l'Église russe de l'époque, une consécration pour un ecclésiastique érudit. Le recteur est non seulement un administrateur, mais surtout l’artisan de la formation des futures élites pastorales, et le garant de la qualité morale et doctrinale du clergé. L'accession de Mikhaïl Znamensky à ce poste à un âge encore jeune témoigne de sa solide réputation d'enseignant, de théologien et de gestionnaire.


Recteur à Penza (1888-1894)

En 1888, le Saint-Synode le nomme recteur du séminaire de Penza et l’élève au rang d’archiprêtre à seulement 33 ans. Durant six ans, il cumule les responsabilités : censeur du journal diocésain, président du conseil scolaire diocésain, membre du comité statistique du gouvernorat et de divers comités de bienfaisance, notamment pour aider les victimes de la famine. Son influence dépasse largement l’enseignement.


Recteur à Ekaterinoslav (1894-1896)

En 1894, il devient recteur du séminaire d’Ekaterinoslav (aujourd’hui Dnipro), censeur du journal diocésain et membre de diverses associations caritatives locales. Deux ans plus tard, désireux d’un contact plus direct avec les fidèles, il choisit de revenir au service pastoral.


Reconnaissance et honneurs

Cette période est jalonnée de distinctions honorifiques, témoignant de la reconnaissance de l'Église et de l'État pour son service zélé :

  • 1886 : le Nabedrennik (набедренник), première distinction liturgique pour jeunes prêtres méritants.
  • 1887 : l'Ordre de Sainte-Anne, 3ème degré (Анна III степени), décoration impériale pour services rendus à l'État dans l'éducation.
  • 1888 : l’élévation au rang d’Archiprêtre (Протоиерей), le plus haut grade du clergé blanc.
  • 1890 : le Kamilavka (камилавка), coiffe violette symbolisant la distinction d’archiprêtre.
  • 1898 : la croix pectorale en or (наперсный золотой крест), décernée par le Saint-Synode pour service exemplaire.

Fort de cette expérience et de sa renommée, Mikhaïl est prêt pour son affectation la plus longue et prestigieuse : Taganrog, ville portuaire animée du sud de l’Empire sur la mer d’Azov où naquit et vécut Anton Tchekov, son contemporain.


IV. Apogée et jubilé


Archiprêtre à Taganrog

En 1898, il devient recteur (настоятель) de la cathédrale de l’Assomption (Успенскій соборъ). Pendant près de vingt ans, il est une figure centrale : doyen (Благочинным) des églises, président du conseil scolaire diocésain, animateur de confréries caritatives et professeur de religion à l’école technique et au lycée Marinsky pour jeunes filles. Sa famille, onze enfants compris, vit au 47, ruelle Depaldovsky (aujourd’hui rue Tourguenievski).


Le jubilé de 1911

Le 15 août 1911, la ville célèbre les 25 ans de son sacerdoce. Les journaux diocésains de l’époque relatent la cérémonie, en présence de l’évêque Théophilact (Clementeev), du clergé local, des autorités civiles et d’une foule nombreuse et émue. Les discours élogieux saluent le « pasteur zélé », « l'orateur talentueux » et « l'homme de foi ». Mikhaïl reçoit une croix pectorale en or offerte par ses fidèles. Particulièrement ému, il se remémore sa consécration : 

« Il y a 25 ans, en ce même jour, [...] au moment où le défunt évêque Nestor (Metaniev) posa sur moi ses mains de consécration [...], des larmes de joie et d'attendrissement coulaient de mes yeux. [...] Je sanglotais comme un enfant, sans arrêt, sans cesse. ». 

C’est le sommet de sa vie : respecté, aimé, entouré. Malheureusement, le monde qu’il connaît s’effondrera quelques années plus tard.


Archiprêtre Mikhail Ksenofontovitch Znamensky (début XXe siècle)

Archiprêtre Mikhail Ksenofontovitch Znamensky (1913)

Deux photos d'identité de MK Znamensky, la seconde datant de 1913. On y distingue la croix pectorale en or, la croix pectorale offerte par les fidèles à l'occasion du jubilé, la médaille de candidat en théologie (Кандидат богословия) et l'insigne de l'ordre de Sainte Anne (photos : collections privées).


Nouvelles distinctions

Entretemps, Mikhaïl Znamensky continue à accumuler les distinctions :

  • 1912 : l'Ordre de Sainte-Anne, 2ème degré (Анна II степени), conférant la noblesse personnelle.
  • Entre 1912 et 1916 : la Palitsa (палицу), distinction liturgique en forme de losange pour archiprêtres méritants.


V. Révolution et tourments


L’effondrement d’un monde

En 1917, la Révolution bouleverse tout : trône, Église et ordre ancien disparaissent. Pour Mikhaïl, loyal serviteur du Tsar et de la foi, c’est un choc profond. Il perd sa charge et ses protections, et la persécution commence.


L’Affaire Filevski

À la fin des années 1920, la police politique (GPU) enquête sur l’« Union du Peuple Russe » (Союз Русского народа), une organisation monarchiste. Mikhaïl, ancien vice-président de la section de Taganrog, est interrogé en 1926 et son témoignage entraîne la déportation de l’historien renommé de Taganrog, Pavel Pavlovitch Filevski, pour trois ans. Hanté par cet épisode, il écrit en 1934 une lettre poignante : 

« Je considère comme un devoir de vous demander pardon si je suis coupable du malheur qui vous a frappé. ». 

Dans son journal, Filevski consigne sa réponse : 

« Le père Mikhaïl Znamensky m'a causé un grand tort avec sa dénonciation au GPU, mais j'ai oublié cela depuis longtemps et je lui ai pardonné. ».


Les dernières années à Rostov-sur-le-Don

Après la Révolution, Mikhaïl Znamensky s'installe à Rostov-sur-le-Don. C'est là qu'il affronte de nouvelles épreuves personnelles, notamment le décès de son épouse Elizaveta, emportée par une épidémie de choléra en 1922. Une lettre de son fils ainé Vladimir (1927) indique qu'il vit chez une de ses filles, qu’une autre de ses filles est décédée et que quatre de ses fils sont en exil. Bien qu'il n'ait plus de poste officiel, il continue d'officier dans une église de la ville, fidèle à son engagement sacerdotal malgré les dangers et les persécutions anti-religieuses. Sa dernière trace écrite date de février 1934 ; la date exacte de sa mort reste inconnue.

MK Znamensky à Rostov-sur-le-Don

MK Znamensky à Rostov-sur-le-Don vers la fin de sa vie (photo : collection privée)


VI. Héritage et postérité


Un homme de foi et de devoir

Les nombreux sermons, discours et éloges funèbres prononcés par Mikhaïl Znamensky tout au long de sa carrière, publiés dans les journaux diocésains de l’époque, constituent une source précieuse pour dresser son portrait et comprendre sa vision du monde. Ils témoignent d’un homme profondément ancré dans sa foi et sa mission, très attaché au devoir et à la monarchie, respectueux de l’éducation chrétienne et doté d’une sensibilité morale rare.


Souvenirs de ses contemporains

Les témoignages recueillis lors de son jubilé en 1911 le décrivent unanimement comme un pasteur zélé, un orateur captivant et un homme aimé de ses paroissiens. Les adresses élogieuses saluent sa « douceur », son « dévouement » et sa « ferveur apostolique ». Certains aspects de son caractère restent cependant plus complexes, tels que la gestion d’une trésorerie scolaire qualifiée de désordonnée selon une encyclopédie locale, ou encore son implication dans l’Affaire Filevski qui rappelle les dilemmes auxquels il fut confronté dans une époque troublée.


Conclusion

La vie de mon arrière-grand-père raconte tout un monde disparu : la Russie impériale, sa foi et sa culture. De fils de diacre à archiprêtre, il gravit patiemment les échelons du mérite et de la dévotion, parcourant l’immense territoire russe, de Pereslavl-Zalesski au nord-est de Moscou jusqu’à Taganrog, à la frontière sud de l’Empire, en passant par Smolensk, Penza et Ekaterinoslav. Son sacerdoce lui valut de nombreuses récompenses et distinctions, et une vie familiale comblée : onze enfants (six garçons et cinq filles), dont la plupart reçurent une éducation leur permettant de poursuivre des études supérieures, un exploit notable pour l’époque.


La Première guerre mondiale, la Révolution et la guerre civile qui s’ensuivit bouleversèrent cette harmonie. Quatre de ses cinq fils furent contraints à l’exil en novembre 1920 avec les Armées blanches défaites, qu’il ne revit jamais. Le décès de son épouse en 1922, emportée par le choléra, ainsi que celui d’une de ses filles, fragilisèrent le vieil homme qu’il était devenu, déjà soumis à la répression bolchévique visant les serviteurs de l’Église. Dans ce contexte, l’interrogatoire ayant conduit à la dénonciation de l’historien Filevski semble avoir été un acte de survie pour lui et ses enfants restés en Russie. Sa repentance sincère en fin de vie, acceptée par Filevski, illustre sa grande humanité et symbolise la rencontre de deux vieillards unis par la douleur d’une époque implacable.


Enfants de l'Archipretre Mikhail Ksenofontovitch Znamensky

Les onze enfants de MK Znamensky (de gauche à droite) : Vladimir, Alexandre, Alexandra, Lioubov, Elisabeth, Marie, Serge, Yvan, Dimitri, Nicolas et Catherine.


(*) Sources :

  • Archives : Archives d'état de la région de Vladimir, Archives centrales de la ville de Moscou, Bibliothèque d'Etat de Russie, Archives d'état de la région de Yaroslav, Archives d'état de la région de Penza, Archives historiques de Russie, Réserve littéraire et musée historique et architectural d'État de Taganrog, Archives historiques centrales de l'État de Saint-Pétersbourg, Archives d'état de la région de Rostov-sur-le-Don, Archives du FSB de Russie pour la région de Rostov, Archives historiques de l'Etat de Lettonie.
  • Presse ancienne : Journaux diocésains (Vladimir, Smolensk, Penza et Ekaterinoslav), Livres commémoratifs (région de l'armée du Don).
  • Sites Internet : drevo-info.ru, ortho-rus.com, petergen.com.
  • Bibliographie : Trotsky A. : Le séminaire théologique de Penza au cours du siècle écoulé depuis sa création (1800-1900) ; Malitsky N. : Listes des élèves du séminaire théologique de Vladimir (1750-1900) ; Gavryushkin O.P. : Les reflets des coupoles dorées : histoire des églises de Taganrog et des sépultures du cimetière chrétien ; Gavryushkin O.P. : « Selon le grec ancien ... » (Chronique de la vie quotidienne) ; Timochenko V.I. : Encyclopédie de Taganrog - 2ème édition ; Vinogradov N. S. : Note historique sur l'école théologique Pereslavl-Zalesski ; Denisov M.E. : Professeurs et employés du séminaire théologique de Penza (1800-1918) : dictionnaire biographique et bibliographique.


Photo de couverture : Carte postale ancienne de la cathédrale de l’Assomption - Успенскій соборъ (collection privée)


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